A
l’occasion du décès en début d’année de Thomas S. Monson, le 16e « président-prophète » de l’Eglise
des Saints des Derniers Jours, comme ils se font appeler, j’aimerais revenir
courtement sur ce mouvement religieux américano-américain.
Qui sont vraiment les Mormons ? Quelles différences avec les chrétiens « traditionnels » ?
Les
Mormons, ou Saints des Derniers Jours (SDJ), sont les membres d’une entité
religieuse socio-culturelle et entrepreneuriale américaine, dont le siège
actuel est basé à Salt Lake City, dans l’état de l’Utah aux Etats-Unis. Si l’on
trouve la plus forte concentration de Mormons[1] aux
Etats-Unis, et plus spécialement dans les états de l’Ouest, les 16 millions de
membres de ce groupe sont présents dans plus de 170 pays de par le monde, selon
les recensements de l’administration de l’Eglise SDJ. En France[2], il y
aurait quelques 50.000 Mormons à l’heure actuelle, répartis sur 10 « pieux
» (équivalent de diocèses) dans les plus grandes villes du pays.
La
religion mormone est une « religion révélée » dont l’origine remonte
au début du XIXe siècle. La révélation ne concerne alors qu’une seule personne,
Joseph Smith, fils de cultivateurs américains vivant principalement dans l’Est
du pays, même si certains autres adeptes affirment avoir reçu des visions
similaires. C’est en 1820 que le jeune Joseph, alors âgé de 14 ans, reçoit sa
première vision. A l’époque, la famille Smith est partagée entre le
presbytérianisme et le méthodisme. Joseph penchera plutôt du côté méthodiste
sans être totalement convaincu. Déçu par ces courants religieux, il les étudie
scrupuleusement afin de trouver un juste milieu et d'établir la vérité. Cette
« vérité », il la reçoit en songe par l’ange Moroni, personnage très
fréquemment présent dans la théologie mormone. L’identité de cet ange n’est
d’ailleurs pas clairement définie, tantôt décrit comme un être céleste, tantôt
comme un prophète-guerrier aux origines précolombiennes[3]. Cet
ange aurait quoiqu’il en soit confié à Joseph Smith des plaques dorées sur
lesquelles était inscrit dans un langage céleste ce qui est devenu quelques
années plus tard le fondement de la foi mormone ; la traduction de ces
plaques serait contenue telle quelle dans son ensemble dans le Livre de Mormon,
un des rajouts à la Bible[4]. Le
Livre de Mormon raconte l’histoire de Lehi, un prophète ayant fui Jérusalem
avec sa famille pour venir s’établir en Amérique ; on considère que le
livre s’étend d’environ 600 avant Jésus-Christ jusqu’à 421 après Jésus-Christ.
Joseph Smith (et
les Mormons après lui) déclare que c’est Jésus lui-même qui a rétabli leur
Eglise par l’intermédiaire de Smith, prophète sous révélation constante. De nos
jours, le dirigeant de l’Eglise SDJ a d’ailleurs le titre de
« prophète » et est censé pouvoir recevoir en permanence des
révélations de Jésus. Ce prophète et ses 12 disciples sont la tête pensante de
l’Eglise SDJ.
La
théologie mormone est très complexe et un tant soit peu contradictoire par
endroit. En commençant par la personne de Jésus, au centre de la
théologie : Jésus serait le fils charnel de Dieu le Père, envoyé sur la
terre afin de racheter l’humanité toute entière et donner un exemple de
perfectibilité aux Saints. De ce fait, les Mormons peuvent, par leurs œuvres et
les commandements qu’ils doivent respecter, devenir parfaits et exaltés comme
Jésus.
Si
les Mormons se désignent comme étant les véritables « Chrétiens » au
sens initial du terme, ils ne veulent pas être associés aux religions communes
auxquelles on met l’étiquette « christianisme », à savoir, les
Catholiques, les Protestants, les Orthodoxes et leurs multiples ramifications.
Ces derniers n’ont d’ailleurs aucunement le sentiment de ressembler aux Mormons
d’une façon ou d’une autre. Un des dirigeants mormons, Gordon B. Hinckley,
disait à ce propos « ne pas appartenir à l’Eglise Catholique et ne
protester contre rien au monde »[5].
Pourquoi un tel ressentiment ? C’est bien simple ; les Mormons
considèrent que l’Evangile de Jésus a été souillé durant des siècles par une
multitude de religions apostâtes et par des faux prophètes, altérant son
contenu. L’Eglise SDJ se veut ainsi être restaurationniste : les Mormons auraient
La compréhension de l’Evangile tel qu’il était à l’origine.
C’est
d’ailleurs cette volonté de vouloir à tout prix se démarquer des autres qui a
créé de nombreuses dissentions au cours de l’histoire des Mormons. Pourchassés
et persécutés par leurs compatriotes « puritains » au sens large, les
Mormons ont également un passé peu glorieux dont les épisodes sanglants en
donnent une image plutôt peu recommandable. Joseph Smith lui-même aurait à de
nombreuses reprises brandi le fusil et l’épée. C’est d’ailleurs de façon assez
violente que Joseph Smith meurt, assassiné à l’âge de 38 ans, alors qu’il est
emprisonné avec son frère dans l’Illinois.
Fuyant
d’autres persécutions, les Mormons font route progressivement vers l’ouest,
vers un pays, dit-on, où personne ne viendrait les chercher : l’Utah. Sous
la direction de Brigham Young, second prophète de l’Eglise SDJ et patriarche
très controversé, des milliers de pionniers mormons s’établissent dans la
vallée du grand Lac salé, au cœur des Rocheuses, entre 1845 et 1860. Ils y sont
restés jusqu’à maintenant, se développant plus ou moins en autarcie, mais
exerçant tout de même un fort contrôle sur leurs membres de par le monde.
Les Mormons ont su s'adapter avec leur temps, même si la famille nombreuse est toujours une caractéristique vérifiable. |
En quoi croient les Mormons ?
Comme
déjà évoqué, les Mormons ont une théologie très alambiquée composée d’un grand
nombre de choses à faire et à ne pas faire (les commandements ou ordonnances)
ainsi que d’une structure ecclésiastique exagérée[6]. Pour
faire court, je vais me concentrer uniquement sur la partie proéminente du
Mormonisme, à savoir, le « plan du salut ».
Le plan du salut mormon est une sorte de guide ou mode d’emploi vers
l’exaltation et la vie éternelle. Si chaque étape de ce plan est
scrupuleusement respectée, le plan sera un succès assuré. Le plan du salut se
divise en 9 étapes consécutives et indissociables :
1. La vie
pré-mortelle. D’après les Mormons, les hommes (surtout les Mormons) sont
littéralement engendrés en esprit par Dieu le Père. L’esprit de l’homme est le
résidu immortel de cette conception divine. Toujours selon cette même doctrine,
Jésus serait notre frère aîné, puisqu’Il est le premier-né de Dieu en esprit.
Lucifer serait le deuxième, jaloux et avide de pouvoir. Les hommes auraient eu
le libre choix de rejoindre soit l’un soit l’autre camp. Après avoir créé la
terre, Jésus (seul) y envoie les hommes dans une enveloppe physique et mortelle
pour que ceux-ci se perfectionnent, se conforment à une vie mortelle et se
préparent à retourner vivre en présence de Dieu.
2. La chute. Chez les
Mormons aussi, la chute d’Adam et Eve, et l’entrée du péché dans le monde
occupent une place cruciale. Cependant, la transgression d’Adam et Eve n’est
pas considérée comme négative mais au contraire comme un accès à la
connaissance et à la postérité. De ce fait, par le principe presque immuable du
« libre arbitre », les hommes ont cette possibilité de se racheter
pour leurs propres péchés, et non pour la transgression d’Adam. Pas de
prédestination ici ; chacun est libre et chacun doit faire le nécessaire
pour gagner son ciel.
3. La communion
avec Dieu.
Les Mormons reconnaissent 3 vecteurs de communication avec Dieu : la
prière, personnelle, intime et obligatoire depuis la chute ; la
révélation, uniquement accordée aux prophètes ; les écritures sacrées, à
savoir, la Bible, le livre de Mormon, Doctrines et Alliances, la Perle de Grand
Prix, et toute autre parole révélée aux prophètes. A noter que dans la
théologie mormone, c’est normalement le Saint-Esprit qui dicte ces
paroles ; le Saint-Esprit est un être spirituel limité d’apparence humaine
: il ne peut être qu’en un seul endroit à la fois.
Le Livre de Mormon est l'addendum principal à la Bible chez les Mormons. |
4. La venue de
Jésus.
Elément central par excellence, la venue de Jésus sur la terre et Son sacrifice
expiatoire permet aux hommes d’espérer accéder au salut, sans toutefois le
garantir. La grâce joue un rôle mineur dans ce plan ; elle vient
« colmater » là où les œuvres et sacrements mormons ne suffiraient
pas. Même malgré cela, la vie éternelle n’est réservée qu’à une élite de justes
qui auront été le plus proche possible de Jésus dans leur vie sur la terre.
Sans Jésus, l’homme ne pourrait espérer au salut et resterait sous l’effet de
la chute.
5. L’Eglise de
Jésus sur la terre. Comme mentionné plus tôt, les Mormons considèrent qu’ils sont la
restauration de l’Eglise primitive, telle qu’elle était juste après la
résurrection de Jésus et son ascension. C’est d’ailleurs pour cela qu’ils se
font appeler « Saints », selon Ephésiens 4 :12. Selon les
Mormons, l’Eglise SDJ est identique à l’Eglise telle qu’instaurée dans les
Evangiles ; mêmes fonctions, mêmes offices, mêmes sacrements.
6. Les symboles de
l’Evangile.
Cette étape se subdivise en une succession logique de principes. Le sacrifice
de Jésus étant à la base, vient ensuite la foi, indispensable au salut. La foi
suscite ensuite la repentance, ou la reconnaissance de son état de pécheur.
Elle implique d’arrêter (ou de limiter) de pécher afin de poursuivre une
progression spirituelle. Toutefois, le péché en soi a l’air d’être seulement un
frein au salut, n’empêchant pas complètement son accès. Le baptême succède à la
repentance, selon Matthieu 28. C’est un sacrement nécessaire à l’obtention du
salut. Le don du Saint-Esprit par imposition des mains vient compléter la
succession logique des principes ; le baptisé est alors capable de garder les
commandements de Dieu. Enfin, la Sainte-Cène est l’ordonnance qui vient
conclure cette liste de symboles, étant le rappel du don de Jésus et le symbole
du renouvellement de l’alliance de Dieu avec le baptisé.
7. Le perfectionnement des Saints. Sur un registre un peu caustique,
on pourrait dire que cette étape du plan s’apparente plus un à parcours
militaire initiatique de tous les jours pour les Mormons. C’est de nouveau une
liste d’accomplissements, pas tous nécessaires mais recommandés, auxquels
doivent se plier les membres SDJ pour parvenir à augmenter leur chance
d'atteindre le salut. Parmi ces œuvres (appelons un chat, un chat), nous
retrouvons :
a. L’observance du sabbat : emprunté aux Juifs, l’observance du sabbat est cependant placée le
dimanche. Les Mormons fidèles doivent passer leur journée à se consacrer aux
choses spirituelles et à la famille. Le matin, ce sera l’office à l’église,
pendant 3 ou 4 heures, voire plus longtemps s’il y a des rôles et
responsabilités spécifiques[7].
L’après-midi et le soir, les Mormons regardent des films, jouent à des jeux ou
visitent leurs proches.
b. La dime : les Mormons sont très sensibles à cette ordonnance. Le paiement de
la dime est très sérieusement considéré et suivi. Un Mormon à jour de dime est
susceptible d’accéder à des avantages, notamment à entrer dans le temple[8]. Si
auparavant, le montant de la dime était fixe par foyer, de nos jours, il
représente plutôt un impôt ; les Mormons versent régulièrement une somme
proportionnelle à leurs revenus.
c. Le jeûne : un dimanche par mois, les Mormons assidus s’abstiennent de manger et
boire (exceptée l’eau). Le montant normalement dépensé en nourriture est versé
comme dime.
d. Le travail : les Mormons sont des travailleurs acharnés. Tel qu’écrit dans
Genèse, ils doivent travailler dur et, si possible, gagner suffisamment
d’argent pour être de bons fidèles. Ne nous y trompons pas, les Mormons sont
des hommes d’affaire.
e. Le service/la charité : les Mormons aussi pratiquent la BA ! Les fidèles doivent être
attentifs aux plus faibles, à la veuve et l’orphelin, d’abord dans leur
congrégation, ensuite auprès des « gentils »[9]. Les
Mormons ont également à cœur de participer aux grandes causes humanitaires,
notamment après des catastrophes naturelles[10].
f. La Parole de Sagesse : particularité très mormone ; les membres doivent s’abstenir
d’alcool, de tabac, de café et de thé sous toutes leurs formes. Il paraitrait
qu’une extension à cette ordonnance mentionne que les aliments gras doivent
également être limités, le corps étant le temple du Saint-Esprit.
g. Le service missionnaire : âgés entre 18 et 20 ans généralement, tous les jeunes Mormons sont
encouragés à partir en mission en dehors de leur famille pour une durée d’un an
et demi à deux ans. Préparés dans des centres de formation de l’Eglise SDJ, les
jeunes Mormons apprennent des tactiques de communication, perfectionnent leurs
compétences linguistiques et affermissent leur connaissance de la religion
mormone avant d’être envoyés, aux frais de leurs parents, la plupart du temps.
Le but est simple, faire des convertis. L’édification personnelle est la
récompense ultime de cette expérience. De ce fait, si vous voyez deux jeunes
hommes ou deux jeunes femmes, sacs sur le dos, tracts ou Bible en main,
étiquette « Elder » ou « Sister » sur leurs habits du
dimanche, sillonner les rues, aucun doute, ce sont de jeunes missionnaires
mormons.
h. Ordonnances supplémentaires : parmi les œuvres moins marquantes,
nous retrouvons bien sûr la consécration (appelé « sacrifice »,
visant à tout faire pour le royaume de Dieu), l’obéissance aux commandements,
l’honnêteté, la pratique et le développement des dons ou talents.
Chaque année, des milliers de jeunes Mormons partent en mission partout dans le monde. |
8. La famille. Experts en
généalogie[11],
les Mormons accordent une place de choix à la famille. Le souhait de tout
Mormon est d’être avec sa famille pour l’éternité, ce que la foi mormone permet
par le baptême ! De même, pour les plus chanceux, il est possible d’être
marié pour l’éternité, dans cette vie et dans la suivante, si l’on a une
recommandation spéciale pour le temple. Enfin, il est bien entendu que la
chasteté est de rigueur ; rien en-dessous de la ceinture avant le mariage.
Et la fidélité est de mise une fois le mariage célébré. Note
intéressante : les Mormons sont très féconds ; ils partent du principe
que plus ils feront d’enfants, plus il y aura de sauvés qui iront au paradis
mormon.
9. L’au-delà. Très complexe, l’Au-delà est compartimenté en diverses strates. A
l’image des Catholiques, les Mormons ont aussi leur purgatoire approprié, le
« monde des esprits post-terrestre ». Toutes les âmes sont stockées
dans cet endroit post-mortem jusqu’à la résurrection universelle. Ce monde des
esprits est séparé en deux secteurs bien distincts : l’enfer et le
paradis. Cependant, fait incroyable, des défunts ont la possibilité, voire la
responsabilité, d’aller prêcher chez les morts en enfer afin d’en amener au
paradis. De plus, les vivants ont aussi l’occasion de « transférer » les âmes
par procuration, de l’enfer au paradis. Une fois le moment de la résurrection
venu, tous les défunts sans exception récupéreront leur corps et comparaitront
pour le jugement dernier. A l’issue du jugement, les non sauvés n’auront droit
qu’à la mort éternelle. Les humains « passables » seront répartis
entre la gloire « téleste »
et la gloire « terrestre », selon le degré de bien qu’ils auront fait
sur la terre. Les Mormons plutôt passifs auront droit à la gloire
« céleste » ; quant aux plus brillants d’entre eux, c’est la vie
éternelle qui les attend auprès de leur famille et de Jésus.
Les dérives et assimilations
Quand on parle des Mormons en général aujourd’hui, on a vite fait
d'établir le lien avec un certain nombre de choses fâcheuses, pour la plupart
avérées, que l’on attribue à l’Eglise SDJ. Premièrement, nous, Européens, avons
assez souvent tendance à confondre les Mormons appartenant à l’Eglise de
Jésus-Christ des Saints des Derniers Jours, et les Amish, communauté de
croyants anabaptistes vivant principalement en Pennsylvanie, toujours aux
Etats-Unis, dans des endroits reculés, à l’abri de la modernité. Les Amish sont
bien moins nombreux que les Mormons ; par ailleurs, ils se sont implantés
aux US plus d’un siècle avant la « naissance » du Mormonisme. Leurs
croyances respectives diffèrent énormément, en ce que les Amish sont les héritiers
des Mennonites, et prônent un baptême conscient et volontaire. Leur théologie
est issue de la Réforme stricte, d’où leur proximité avec les européens[12].
Un des traits qui est certainement le plus connu et le plus
controversé concernant les Mormons, est la polygamie. S’il est vrai que, fut un
temps, la polygamie était une pratique plutôt commune chez les élites mormones,
la chose est beaucoup moins répandue maintenant. Les Mormons s’appuyaient sur
le verset 1 Timothée 2 :15 pour justifier cet usage : « Elle sera
néanmoins sauvée en devenant mère, si elle persévère avec modestie dans la foi,
dans la charité, et dans la sainteté ». Autrement dit, les hommes mormons
veulent « racheter » les femmes en les mariant religieusement et en
faisant d’elles des mères. C’est un acte de charité basé sur une mauvaise
interprétation de la Bible. Comme les familles nombreuses, on le sait, coûtent
cher à entretenir, c’étaient le plus souvent les élites qui s’octroyaient le
droit à cette fantaisie. D’ailleurs, le fait que les dirigeants de l’Eglise SDJ
soient les principaux à pratiquer cette coutume, il était plus facile pour eux
de manipuler les contradicteurs et faire taire les doutes en prétextant
recevoir ce droit de Dieu lui-même. Même si depuis la mort de Smith en 1852 la
pratique commençait à battre de l’aile, c’est la publication en 1890 du
manifeste de Wilford Woodruff qui met officiellement un terme à la polygamie
sous peine d’être « excommunié » du registre Mormon. Ne nous y
trompons pas, il subsiste encore aujourd’hui, dans des contrées retirées de
l’Utah, de l’Idaho et du Wyoming (entre autres), des familles au sein
desquelles certains maris ont plus d’une femme. A peine cachés, les
protagonistes prônent la diversité et la liberté de culte ; à tel point
qu’au début des années 2010, la chaîne de télé américaine TLC, avait lancé une
série de téléréalité autour d’une famille polygame « Mes 5
épouses ». La série n’aura duré qu’un an, trop sulfureuse pour être
prolongée. Cependant, d’après des critiques, cette initiative aura connu un
succès relatif, profitant d’un intérêt voyeuriste grandissant…
Entre autres dérives, nous ne pouvons passer à côté du « baptême
des morts ». Si l’appellation sonne plutôt comme le titre d’un film
d’horreur, la réalité est bien moins glauque qu’il n’y parait. Ce rite est très
usité par les Mormons les plus zélés. Il s’agit tout simplement de baptiser un
proche décédé ou une personnalité également décédée par procuration. En clair,
vous voulez que votre grand-mère devienne mormone et soit avec vous pendant la
vie éternelle ; alors, vous vous faites baptiser pour elle. On ne déterre
aucun cadavre a priori, bien que des récits témoignent de quelques occurrences
allant jusqu’à cet extrême. Cela dit, les baptêmes de ce genre se font par
dizaines voire par centaines ; vous pouvez très bien vous faire baptiser
pour des milliers de personnes si le cœur vous en dit, à condition d’avoir les
recommandations nécessaires pour pénétrer dans le temple (les baptêmes des
morts ne s’opèrent que dans les temples). Ainsi, vous apprendrez que des
célébrités telles que Louis de Funès et le Général de Gaulle ont été baptisées
post-mortem par les Mormons. Quid du consentement ?
Pour abréger sur les autres dérives, qui susciteront peut-être moins
de curiosité mais qui ne sont pas moins intéressantes pour autant, vous
apprendrez que la communauté noire a longtemps été déconsidérée par les
Mormons ; et même si à l’heure actuelle, la tendance est à la diversité,
il est encore assez rare de croiser des personnes de couleurs dans l’Utah, en
dehors de Salt Lake City. Si Joseph Smith était anti-esclavagiste et favorable
à l’inclusion de personnes noires dans son groupe, Brigham Young, son
successeur, l’était beaucoup moins. D’après ce dernier et ses adeptes, les
noirs seraient les héritiers de peuples sous le coup d’une malédiction (Cham),
d’où leur couleur. L’accès à la prêtrise ne fut autorisé pour les noirs qu’en
1978. On compterait de nos jours environ 500.000 africains et afro-américain
membres de l’Eglise SDJ. Par ailleurs, les femmes, elles aussi relativement
déconsidérées par le haut commandement mormon (la faute à Eve), n’ont pu
bénéficier du droit à la parole en public qu’à partir de 1984. Par
« parole en public », il s’agit des grandes conférences mormones.
Bien entendu, la question homosexuelle fait encore beaucoup débat et c’est un
sujet très brûlant sur lequel les Mormons sont maintenant partagés. Depuis les
années 2000, on peut cependant constater une certaine ouverture à la tolérance,
même s’il y a eu récemment des soubresauts de conservatisme mormon ;
citons par exemple la proposition de loi n°8 de 2008 visant à faire interdire
la loi nouvellement passée en Californie[13]
autorisant le mariage entre personnes du même sexe. Bien que le tollé
médiatique fût de grande ampleur et que l’Eglise fit son possible pour faire
passer cette loi, les pro-LGBT avaient déjà la mainmise sur la Californie
depuis trop longtemps. En 2011, un peu plus d’un tiers des habitants de l’Utah
étaient encore contre les relations homosexuelles selon un sondage réalisé par
l’agence Pew. L’Eglise SDJ a mis en place en 2014 un site internet destiné à la
médiation avec les homosexuels ; ce site est considéré comme un effort
vers la tolérance, ce qui ouvrirait la voie à plus de compassion envers la
communauté LGBT, dit-on. A suivre.
Que faut-il retenir ?
Il est clair que les Mormons sont un groupe religieux particulier, en
marge du Christianisme traditionnel de bien des manières, de par le caractère
pseudo-révélé de leur fondement doctrinal, par leurs pratiques intrigantes, et
par leurs croyances ; cerise sur le gâteau, les Mormons croient corps et
âme que Jésus reviendra…aux Etats-Unis. Par ailleurs, Jésus n’est
« que » le fils charnel de Dieu le Père et n’est pas Dieu lui-même.
Joseph Smith a admirablement réussi à emprunter des principes de plusieurs
religions et courants philosophiques pour monter de toute pièce un assemblage
mystique très complexe et pour le moins ambigu dont les adeptes, séduits, sont
persuadés qu’ils doivent gagner leur salut en multipliant les œuvres et se
pliant à un maximum de contraintes religieuses pour tenter de se rapprocher d’une
perfection qu’ils ne pourront toucher qu’en rêve. En s’épuisant dans ce
"marathon de la gagne à la mormone", beaucoup de membres ont été
déçus, découragés, écœurés. Pas étonnant que l’Utah ait longtemps été le
premier état des US à avoir un fort taux de suicides, de divorces et de
consommation d’anti-dépresseurs.
Au-delà de l’aspect purement religieux, les Mormons sont un réseau
très bien organisé. Ils ont su se développer par eux-mêmes, à l’image d’un état
à part entière ou d’une théocratie. C’était d’ailleurs jadis le souhait de
Smith : instaurer une théocratie à l'échelle américaine. Ceci a
partiellement échoué, compte-tenu de la marginalisation de la communauté
mormone, mais partiellement réussi si l’on se fie aux chiffres officiels qui
avancent quelques 16 millions au moins de membres autour du globe. En tous cas,
Smith, et Young après lui, voulait appeler leur royaume l’état du «
Deseret », nom signifiant « ruche » dans le Livre de Mormon. Non
reconnu par l’administration fédérale, l’état du Deseret a quand même donné son
nom à de nombreuses institutions sous l’égide de l’Eglise mormone dans l’Utah,
notamment à un journal, à une banque, à un organisme de charité (équivalent de
l’armée du salut) et à bien d’autres choses. Comme évoqué plus haut, les
Mormons sont des hommes d’affaires très connectés entre eux ; le
pistonnage n’est pas rare entre membres de l’Eglise SDJ. L’étranger arrivant en
Utah, la terre promise des Mormons, sera abondamment « prosélyté »
jusqu’à être converti et baptisé. Dans le cas contraire, s’il ne quitte pas
l’Utah, il devra se faire tout petit et se contenter des restes que les Mormons
lui accorderont.
Et
vous, que pensez-vous des Mormons ?
Plus de ressources notamment avec les très bons ouvrages ci-dessous :
GILLETTE, Alain. Les Mormons : De
la théocratie à Internet. Paris : Desclée de Brouwer, 2012. En français, ce
livre est très complet et donne un aperçu très global sur l’histoire des
Mormons.
WILDER, Lynn
K. Unveiling Grace. Grand Rapids : Zondervan, 2013.
Pp.77-92. Très beau témoignage, en anglais, d’une ancienne Mormone qui est
sortie de cette communauté et a trouvé le véritable Sauveur par la grâce.
BOUVIER,
Gilles. Mormons and Society: Contemporary Issues in Utah. Pessac
: Presses universitaires de Bordeaux 3, 2014. Mon humble contribution à la
recherche sur ce phénomène troublant qu’est le Mormonisme. Disponible
gratuitement en anglais sur demande.
NOTES
[1]
Le terme de « mormon » est devenu péjoratif en ce qu’il était
essentiellement appliqué aux adhérents du mouvement durant la période pendant
laquelle la polygamie était monnaie courante (années 1830). De nos jours, les
membres du groupe tiennent à se faire appeler très simplement « Saints des
Derniers Jours ». Voir WebDevilAZ. March 25, 2009. Retrieved October 28,
2012.
[2]
En France, l’Eglise SDJ acquiert le statut d’association loi 1901 en 1952, ce
qui donne le droit aux membres de se réunir librement des dans lieux désignés
par les dirigeants. Plus d’infos sur https://www.eglisedejesuschrist.fr/about
[4]
Le Livre de Mormon fait partie des livres sacrés pour les mormons, avec
Doctrines et Alliances et la Perle de Grand Prix.
[5]
Voir la citation dans son contexte originel : The San Francisco Gate,
April 13, 1997
[6]
Outre l’organisation générale de l’Eglise SDJ, chaque Mormon digne de ce nom a
pour objectifs 1) la prêtrise d’Aaron (équivalent de la communion solennelles
des Catholiques) 2) la prêtrise de Melchisédech qui confère davantage de
responsabilités. A noter que ces prêtrises sont exclusivement réservées aux
hommes. Les femmes (« sœurs ») ont le droit de partir en mission mais
leur rôle se cantonne principalement au maintien de la maison et à l’éducation
des enfants.
[7]
Il y a plusieurs services différents pendant l’office du dimanche. D’abord une
partie commune à laquelle tout le monde assiste, généralement composée de
témoignages et nouvelles d’ici et de là. Ensuite, il y a des réunions
consacrées aux femmes, d’autres réservés aux jeunes hommes, d’autres encore
attribués aux mormons qui ont des responsabilités plus importantes.
[8]
Le temple est un lieu considéré comme saint par les mormons. Diverses
cérémonies s’y déroulent, notamment les mariages éternels et baptêmes pour les
morts. Y sont acceptés seulement ceux qui ont une lettre de recommandation
reçue du prêtre de leur paroisse.
[9]
Anecdote plus ou moins amusante. Dans la plupart des villes bordant Salt Lake
City, il y a une rue qui s’appelle « Gentiles Street ». Aussi
invraisemblable que cela puisse paraitre, cette rue était jadis exclusivement
réservé aux non-mormons désireux de venir s’implanter en Utah.
[11]
Les spécialistes en généalogies mormons ont pour objectif de remonter…jusqu’à
Adam et Eve. Stockées dans des bunkers enterrés dans les Rocheuses, les
archives mormones ont sûrement déjà un dossier très complet sur vous. Vous
pouvez aller vous rendre compte vous-même sur https://www.familysearch.org/
[12]
Plus d’infos sur les Amish ici : http://biblioanab.fr/Biblioanab/Accueil.html
[13]
L’état de Californie est le deuxième état des US le plus mormon, en nombre de
membres déclarés, après l’Utah.